23 mai 2015

RDC, travail des enfants : témoignage de 30 enfants mineurs

Enfant à la recherche du diamant

Cet article est le premier d’une série que je consacre au travail des enfants dans les mines de diamant dans la province du Kasaï oriental en RDC.

La province du Kasaï oriental est située au sud de l’Equateur et à l’est du méridien d’origine.

Elle s’étend entre 1° 49’ et 8° de latitude Sud et entre 21° 49’ et 26° 16’ de longitude Est. Sa superficie est de 168 216 km², représentant 7 % de la superficie de la République Démocratique du Congo. Elle comprend trois districts ruraux et deux villes.

La province du Kasaï oriental dans sa configuration actuelle a toujours été dominée par une activité économique caractérisée par l’agriculture, l’industrie extractive des diamants (avec la société minière de Bakwanga MIBA en sigle depuis 1908 et avec la SACIM ancien Sengamines depuis 1998), et un important déploiement du commerce et autres services ainsi que du secteur informel.

Mais, depuis 1990, tout comme l’ensemble du pays, la province du Kasaï oriental connaît une situation socioéconomique très préoccupante marquée par le chômage quasi généralisé, la répartition inégale des richesses provinciales, la dégradation du pouvoir d’achat de la population, la faible production agricole par rapport à la demande et enfin l’exploitation artisanale du diamant qui a développé dans l’inconscient collectif de la population l’illusion d’un enrichissement facile et rapide dont les conséquences sont incalculables sur les autres secteurs de la vie en province.

Par ailleurs, l’environnement socioéconomique de la province est aussi caractérisé par une quasi-absence d’investissements (l’arrêt de la MIBA et de l’ex-Sengamines en est une illustration) et par d’énormes difficultés d’accès à l’énergie, aux soins de santé, à l’éducation, à l’eau potable, etc. Ces difficultés ont amenuisé sérieusement les possibilités de la population de satisfaire les besoins essentiels.

Confrontée à un tableau aussi désastreux, la population du Kasaï oriental a développé des mécanismes de survie ayant pour effet des mutations sociales. Nous citerons entre autres le développement d’un secteur informel caractérisé par le petit commerce, les petits métiers et la montée fulgurante de la délinquance juvénile en même temps que l’effritement de la solidarité familiale. C’est dans ce contexte qu’il faut situer l’exacerbation du phénomène enfants de la rue et celui de travail des enfants dans les mines d’exploitation artisanale des diamants.

Nous présentons dans cet article l’interview de quelques enfants qui s’adonnent à quelque activité lucrative sur les mines d’exploitation artisanale des diamants que nous avons visitées récemment. En raison du grand nombre d’enfants dans les mines et de l’impossibilité matérielle de réaliser notre étude sur l’ensemble de la population cible, nous avons été amenés à sélectionner un échantillon.

Nous avons recouru à un échantillon empirique de 30 cas, tirés de cinq sites retenus par notre enquête, à savoir : Bakwa Bowa, Bakwa Tshimuna, Bena Kabongo et Bena Mabika, Boya, et Luamuela.

Dans la pratique, nous avons abordé les enfants ou ceux qui en avaient l’apparence, demandé leur âge réel ou l’année de naissance et si le sujet (fille ou garçon) avait moins de 18 ans, nous sollicitions son accord avant de procéder à l’ interview. Ceux qui ont accepté de se prêter à cet exercice de plus ou moins 60 minutes ont fait partie de notre échantillon.

Les questions posées au sujet se rapportaient  à l’identité du sujet ; aux informations relatives aux parents (professions, état matrimonial, conditions so:cioéconomiques, habitat) ; aux  circonstances d’entrée dans les mines (ancienneté, motivations, impressions sur le travail, gains) ; aux modalités de faire face aux intempéries, aux ratées, au manque d’argent, à la violence, à la tentation de la sexualité ; aux perspectives d’avenir (projet personnel, modèle identificatoire, qu’envisage-t-il en cas d’échec du projet ?) ; à l’exploitation et à la rémunération (équitable, injuste) ; aux réactions au cas où ses droits sont bafoués.

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Nous avons choisi de présenté nos sujets sous anonymat, nous les appellerons tout simplement cas n°… suivi du site où nous l’avons rencontré.

CAS N°1 : à Bena Kabongo à Mbujimayi

Sexe    : masculin, aîné

Age    : 14 ans.

Parents : unis, père débrouillard, mère vendeuse d’œufs et cacahuètes au rond-point                                 de l’université à Mbuji-Mayi.

Non scolarisé : abandon, il y a une année en première année secondaire avec intention exprimée de suivre un cursus scolaire à condition de trouver les moyens financiers par les parents ou lui-même.

Habitat : une cabane en pisées mais avec des vieilles tôles à la périphérie de la ville.

Activités : tamisage, recherche sur les lieux de travail, travaille en groupe de 3 garçons de son quartier dont lui-même pour la sécurité et pour l’efficacité, car tous bénéficient de l’effort de chacun.

Position dans le groupe : membre, mais il y a un de nous trois qui est plus grand en âge, il a 16 ans, c’est lui qui est notre chef d’équipe.

Outillage : bêche, seaux en plastique, tamis, 3 sacs en raphia.

Pénibilité du travail : oui, il y a pénibilité quand il y a un puits qui paye, le poids de gravier est lourd, et fatigant mais compensé vite si on gagne quelque chose, on ne sent rien.

Temps d’exposition : ça dépend des jours, mais on vient ici toute la journée par exemple de 7 h 30 à 17  h 30 ou 18 h (généralement 10 heures/jour)

Entrée dans la mine : il y a une année. J’ai abandonné l’école, j’avais 13 ans, en 1ère année par manque de moyens financiers. Un vieux du quartier m’a dit que je pouvais aller travailler avec eux dans les mines, j’ai demandé à papa, il a accepté.

Modalités de faire face aux intempéries, aux ratés, au manque d’argent : on s’abrite dans ces hangars qui servent de restaurant, on se mouille souvent et c’est ce qui pousse d’autres enfants à fumer ou à boire l’alcool.

En cas de violence : on résiste aux enfants de notre âge ou de l’âge de notre vieux en nous battant ou on s’appuie sur les vieux du quartier qui nous connaissent pour la défense.

Projet : trouver de l’argent pour aller à l’école ou au contraire poursuivre la recherche pour trouver de l’argent et devenir trafiquant ou grand commerçant comme tous les grands, comme le gouverneur de province.

En cas d’échec : on va faire comme tout le monde, aller soit au champ ou chercher un emploi manuel quelconque pour vivre, ainsi de suite… Dieu ne vous abandonne pas.

Réactions : on subit la loi du plus fort, Dieu rend justice.

Rapports avec parents : très bons, je donne à papa ma part si j’ai gagné 5.000FC environ 5,5 USD ou à maman. C’est maman qui garde mon argent. Souvent elle ne me le remet pas. Elle dit qu’elle a acheté à manger. Bon c’est ma mère eh !

Frères et sœurs : très bons : je leur fais des cadeaux : biscuits, bonbons, beignets.

Etes-vous satisfait du travail dans ce milieu ? ça va quand même.

 

CAS N°2 : à Bakwa Bowa

Sexe    : féminin

Age  : 11 ans

Parents : unis

Scolarité : elle continue en 4e année primaire

Profession du père : il fait tout, creuse le diamant, fait même les champs, coupe les noix de palme.

Profession de la maman : vend les beignets, les morceaux de manioc, les cacahuètes, même les fruits dans les mines, voire au petit marché du quartier.

Habitat : précaire, mais ses parents habitent une parcelle de l’une de leurs relations où il a construit une case et restent avec les enfants.

Activités : accompagner la maman quand elle a une grande charge pour l’aider à transporter une partie, parfois je vends à sa place quand elle se déplace.

Position dans le groupe : fille de maman sur les lieux de vente, c’est tout.

Temps d’exposition : deux à trois heures. On peut rester toute la journée si on achète beaucoup. A ce moment-là maman remonte pour se réapprovisionner et revenir dans la mine, mais c’est rare.

Entrée dans la mine : c’est depuis deux ans que je suis allée dans les mines pour la première fois. Ce dernier temps on n’y va même plus, il n’y a plus de diamants, maman va souvent au petit marché.

Modalités de faire face aux intempéries, aux ratées, au manque d’argent : on se faufile dans les « mitanda » de restaurants ou on se mouille carrément. Si je glisse et tombe, je me relève même si ici, on se moque beaucoup de quelqu’un qui tombe. Si on ne vend pas beaucoup, nous rentrons avec et le soir on va vendre au petit marché du quartier car là on peut rester jusqu’à 20 h 30 voire 21 heures lorsqu’il y a la lune.

En cas de violence : Pas de cas de violence sur moi, mais les garçons dérangent, d’autres ne payent pas, il faut l’intervention des adultes, amies de maman pour qu’ils payent.

Relations sexuelles : Non pas encore ! A mon âge ? Non.

Projet : Etudier jusqu’au bout, avoir mon diplôme aller travailler partout où je peux aller.

En cas d’échec  de ce projet : si mes parents n’ont pas d’argent, ah ! je vais arrêter… me marier quand je serai grande.

Rémunération : maman ne me paie pas c’est elle ma mère, elle va me payer comment ! je l’aide et je vais à l’école. Papa paye pour moi à l’école quand il trouve quelque chose, même maman aussi.

Et quand vous manquez de nourriture : parfois nous en manquons et nous dormons. C’est rare car, chaque jour nous mangeons le soir. Si nous manquons, maman nous donne même ce qu’elle vend.

Satisfaite d’évoluer en ces lieux ? Oui, ça m’amuse parfois avec les scènes que je vois…

Nous sommes deux filles et deux garçons, je suis la grande, je suis bien avec mes parents et mes frères et ma sœur, seulement celui qui vient après moi dérange, il est taquin.

 

CAS N°3 : à Bena Kabongo

Sexe  : féminin

Age  : 15 ans

Parents : unis, père polygame

Profession : négociant de diamants mieux, commissionnaire

Mère : vendeuse de produits vivriers divers (beignets, patates douces frites, arachides, eau fraîche, etc.) dans la mine et à la cité.

Scolarité : arrêt provisoirement en 2e secondaire (2012-2013) à cause de la colère du père d’apprendre qu’il y a des hommes qui suivent sa fille sur le chemin de l’école. Si le père revient aux bons sentiments, elle peut reprendre la fréquentation scolaire…

Habitat : briques adobe et tôles sur la parcelle du père et la 2,e femme de papa et les autres enfants sont dans une autre parcelle.

Activités : vendre avec maman ou pour elle, parfois l’accompagner dans les mines en transportant une partie de ce qu’elle vend. Sinon aider la maman à la maison dans les travaux domestiques. Je sais également tresser les cheveux.

Outillage : seulement les bassins, les bidons d’eau, etc. aucune fois, j’ai fait le PANACO (transporteur du gravier diamantifère) ou tamisage.

Pénibilité du travail : c’est pénible seulement lorsqu’on doit transporter beaucoup de produits à vendre, mais comme ce n’est pas tous les jours, elle est déjà habituée.

Temps d’exposition : 30 à 45 minutes de marche avec la charge de 6 h 30  à 17 h-18 h et cela, deux, trois, voire quatre fois par semaine. Parfois tous les jours s’il y a des activités aux mines.

Entrée dans la mine : dès l’âge de 12 ans ; j’accompagnais maman sur les lieux de vente. Mais depuis cette année, j’y vais souvent. Avant c’était seulement les jours de congé ou pendant les vacances.

En cas d’intempéries, de ratées, de manque d’argent : on s’abrite contre la pluie et la chaleur en dessous des hangars des restaurants, mais ce n’est jamais confortable. On s’en tire toujours un peu mouillées, dans ce dernier cas, on se réchauffe au feu, on boit du thé, parfois on ne fait rien, les habits sèchent comme ça. Les garçons prennent l’alcool dit « super » ; les fumeurs fument et le marché de ces stupéfiants rapporte beaucoup.

En cas de violence : une fois un garçon a mangé les beignets, il ne voulait pas payer, je l’ai tenu dans les habits pour qu’il paie, il m’a giflée et j’ai réagi, il y a eu bagarre. Les responsables des mines sont venus l’arrêter et l’obliger à me payer. Quand maman est venue, elle a voulu recommencer, les autres femmes lui ont conseillé de se calmer, étant donné que c’est l’esprit dans les mines.

Relations sexuelles : Silence…! Silence…! Pas dans les mines ou avec un creuseur. Quelqu’un qui voulait m’épouser, je l’aimais, mais papa avait refusé, c’est tout, seulement lui.

Projet : rentrer à l’école, terminer les humanités, aller à l’université comme les autres filles que je vois.

En cas d’échec de ce projet : je ferai tout ce qui va se présenter : commerce, mariage, ouvrir un salon comme je sais tresser…

Rémunération : la maman m’achète les habits, elle achète à manger, papa aussi. Mais pourquoi je vais demander qu’ils me payent ? Pas du tout, c’est elle ma mère, elle va me payer comment ! je l’aide lorsque j’allais à l’école, papa payait pour moi à l’école quand il trouve quelque chose, même maman aussi.

Rapports avec les parents : très bons avec maman même avec papa. Seulement il n’a pas voulu que je continue à aller à l’école à cause de l’histoire de ce monsieur. Mais comme j’ai chômé cette année, je crois qu’il acceptera de me laisser rentrer à l’école l’année prochaine.

Rapport avec les frères et sœurs : maman a seulement trois enfants, un garçon avant moi et un autre après moi. Tous deux sont chez la marâtre avec nos demi-frères de là. Moi je suis seule avec maman. Tout va bien, pas de problème.

Satisfaite dans ces milieux ? C’est bien, mais à l’école c’est mieux.

Dans le prochain article, nous présentons les candidats 4 à 8.

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Commentaires

Benjamin Yobouet
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Belle enquête de ta part sur ce phénomène. C'est vraiment triste la situation de ces enfants.

Bien à toi !

Emmanuel LEU T.
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Merci bien Benjamin.

tshimbalanga
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c'est vraiment triste,je n'arrive pas a croire que kasai est devenu ce qu'il est.c'est la mauvaise fois de dirigeants kasaiens qui pensent qu'a eux memes.

charles
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c'est la croissance économique de matata ponyo nous chante tous les jours.C'est triste pour moi,Nous n'avons que les malhonnêtes au sommet de l’état et une classe politique irresponsable.

Mimi
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Bel article. Cependant la question sur les relations sexuelles devraient etre addressees aux jeunes garcons aussi. Pas qu'aux filles

Emmanuel LEU T.
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Merci bien Mimi,enfaite cette question à bien été poser à tout les enfants fille comme garçon peut être avons nous omis la réponse de certains mais croyez moi tous on eu cette question.

Carole Blanc
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Bonjour,
Occupée à la recherche d'articles sur les enfants travaillant dans les mines, je suis tombée sur votre blog : merci pour vos articles.
J'ai un petit-fils de 5 ans pour qui j'ai inventé une histoire "la Reine des Diamants" que je lui raconte le soir quand il est confortablement installé dans son lit douillet. Cette histoire est devenu un livre pour enfants et je voudrais qu'il soit en faveur des enfants-miniers car l'histoire, bien qu'elle soit une féérie, a un lien avec le travail des enfants.
Je recherche pour cela une association qui pourra en bénéficier : peut-être pourriez-vous m'aider ? je suis au début de mon projet et si cela vous intéresse, je pourrais vous donner plus d'informations. Merci de l'attention que vous accorderez à ma demande.
Cordialement. Carole
ps : il n'y a pas encore ni de page Facebook, ni site mais cela ne saurait tarder.