4 juin 2015

RDC, travail d’enfant: témoignage de 30 enfants mineurs

Cet article est le dernier d’une longue série des billets que nous avons consacrés au travail des enfants dans les mines des diamants au Kasaï-Oriental en RDC.

CAS N°21: à Bena Kabongo

 Sexe    : Masculin

Age : 15 ans, 1er enfant d’une famille de 7enfants

Parents : Unis, Père agent de l’Etat affecté à la commune de la Muya. Mère vendeuse des petits poissons au marché municipal de Mama Yemo.

Habitat : locataire, maison en brique à dobe et en tôles.

Scolarité : continue, en 2ème année secondaire.

Cas de violence : ça dépend. Si c’est à l’école, je me plaints auprès du préfet et la discipline scolaire s’en occupe. Si c’est à la cité, je vois le rapport de force : au cas où l’agresseur est de mon âge ou presque, nous nous battons. Au cas où l’agresseur est plus vieux, je m’en réfère à la sagesse de mes parents ou de toute autre personne qui peut intervenir en ma faveur.

Sexualité : non, je n’ai pas encore fait ce genre de choses. Quand le moment viendra, je vais le faire. Je sais.

Projet d’avenir : terminer les humanités techniques ; mécaniques ou électroniques, continuer à l’université pour devenir ingénieur et travailler dans une industrie ou ailleurs.

En cas d’échec de ce projet : l’homme propose, Dieu dispose, dit-on. Si c’est par manque d’argent, on va chercher à se réorienter dans la vie en faisant ce qui sera possible. Je me débrouille quand même bien en classe avec les math et la technologie, etc.

Satisfait ? Oui. Mais il faut continuer avec les études. J’y tiens encore.

CAS N° 22 : à Bakwa Tshimuna

 Sexe    : Masculin

Age : 15 ans, 2ème enfant d’une famille de 7enfants

Parents : Unis et vivants, Père commissionnaire. Mère vendeuse au marché.

Habitat : maison semi-durable.

Scolarité : Abandon scolaire en 1ère année secondaire, il y a une année parce qu’il échoue à l’école.

Activités : aime la musique ou il va chercher à être musicien. C’est le nœud du problème, conflit avec son père qui s’opposait, plus qui a compris en disant : c’est peut-être sa destinée.

Sexualité : pas encore, le moment n’est pas encore venu. Ce qui me préoccupe maintenant c’est de trouver l’argent et d’aller à Kinshasa.

Projet d’avenir : devenir grand musicien et fonder mon orchestre et devenir comme JB MPIANA, Fally IPUPA.

En cas d’échec de ce projet : Je peux échouer, si je reste ici à Mbujimayi. Mais si je vais à Kinshasa, c’est facile. Je vais essayer dans deux ou trois orchestres des jeunes, puis c’est parti. Je ne vais pas échouer.

Satisfait ? Oui.

CAS N° 23 : à Bena KABONGO et Bena MABIKA

 Sexe    : Masculin

Age : 17 ans, aîné d’une famille de 13 enfants issus d’un mariage polygamique

Parents : Unis dans un mariage où l’homme à 2 femmes. Père commissionnaire en diamant. En fait, il s’agit d’un négociant en faillite. Mère couturière.

Habitat : deux maisons semi-durables à trois pièces.

Scolarité : continue, en 4ème année des humanités.

Activité : Elève studieux.

Sexualité : pas maintenant, ceux de nos collègues plus âgés qui sont dans ces aventures n’étudient pas bien, ils n’évoluent pas convenablement.

Projet d’avenir : obtenir mon diplôme d’Etat, allé à l’Université en Polytechnique ou Informatique. Puis, travailler comme cadre dans une entreprise.

En cas d’échec de ce projet : Pour échouer le projet, il faut que moi j’échoue ou qu’on manque l’argent. Mais ma mère me dit qu’elle va même vendre son pagne pour que j’étudie. Je suis sûr que je vais y parvenir. Si j’échoue parce que ça peut arriver, je vais changer de faculté, faire même l’économie ou l’informatique.

Satisfait ? Oui, car ça me dépanne, mais il faut utiliser les revenus pour payer à l’école.

CAS N°24 : à Bena KABONGO

Sexe    : Masculin

Age : 16 ans, 1er enfant d’une famille de 6 enfants

Parents : Père vivant remarié, négociant du diamant (commissionnaire). Mère décédée à la suite de l’accouchement.

Habitat : maison semi-durable à 4 pièces.

Scolarité : continue, en 2ème année secondaire.

Cas de violence : A l’école, c’est interdit. On évite des problèmes avec la discipline scolaire. Mais en dehors de l’école, si je constate que quelqu’un me provoque et s’il s’enflamme, nous nous enflammons tous. On en vient même aux mains, à échanger les coups. Je suis calme, mais je ne me laisse pas faire.

Sexualité : Nous blaguons avec nos collègues filles mais je ne me suis pas encore intéressé à ce genre de choses.

Projet d’avenir : terminer l’école secondaire ; aller à l’université. Ce que j’irai faire là, je ne le sais pas encore. Que je termine d’abord l’école secondaire.

En cas d’échec de ce projet : si mon projet ne se réalise pas, je vais chercher du travail et me débrouiller comme tout le monde  se débrouille (commerce, diamants, chauffeur, etc.)

CAS N° 25 : à  Bakwa Tshimuna

Sexe    : Masculin

Age : 15 ans, 1er enfant d’une famille de 4 enfants

Parents : Divorcés, Père creuseur parti s’installer dans les mines pour toujours. Mère : découragée et partie en les laissant chez leur oncle paternel. Ce dernier en difficulté avec ses propres enfants n’a pas su les encadrer pour les faire grandir et les scolariser. Sa femme les a renvoyés après huit mois. Alors j’ai cessé d’aller à l’école. A présent, chacun des enfants est allé s’accrocher à une famille, la cadette vit avec la grand mère maternelle, une vieille femme, elle aussi nécessiteuse. Lui-même est à l’église, dans une église de réveil où il s’est fait fidèle et sert à toutes sortes de travaux chez les fidèles et à l’église. Parfois je viens dans les mines, mais ce n’est pas du tout mon point fort.

Activités : balayer à l’église, mettre de l’ordre, envoyé de tous ceux qui ont besoin de moi à des petits travaux et quand il y a à manger on me sert aussi Chez d’autres, nous mangeons ensemble avec eux.

Habitat : précaire, petite maison en brique à dobe et en tôle.

Scolarité : continue, en 2ème année secondaire.

Cas de violence : On ne me violente pas du tout. Seulement d’autres langues méchantes me traitent d’enfant de la rue. C’est ce qui  me fait mal. Bon ! J’accepte.

Sexualité : Moi je prie, je cherche où m’accrocher, je commence à me comporter dans ce sens-là, qui va me supporter dans ces milieux qui m’hébergent !

Projet d’avenir : Je n’espère qu’en Dieu pour m’ouvrir une voie afin que je reconstitue la fratrie dispersée et que, un jour, nous puissions aussi retrouver la dignité.

Que pensez-vous de vos parents qui sont tous en vie et qui vous ont abandonnés ? Ils sont parents, je n’en disconviens pas. Si l’un revient aux bons sentiments personnellement je reviendrai à lui car, mieux vaut souffrir avec ses parents que d’être traité d’enfant de la rue, d’enfant fugueur, du marché… c’est ce qui a manqué à mon père. En tous cas, Dieu pourvoira. Il n’abandonne pas les enfants qui souffrent et qui viennent à lui. Je ne sais pas dire quoi, que Dieu nous vienne en aide, nous donne une occasion de nous tirer d’affaire.

En cas d’échec de ce projet : notre pasteur nous disait qu’il n’a jamais vu, ni appris, ni lu dans la bible un homme en difficulté qui compte sur Dieu et Dieu le déçoit. Je n’ai pas un projet pour moi et pour mes frères.

CAS N°26 : à Boya

Sexe    : Féminin

Age : 16 ans.

Parents : Divorcés, elle est partie avec sa mère dans le village de cette dernière à l’âge de 10ans. Mère tient un restaurant aux mines.

Habitat : petite maison en brique à dobe et en tôles.

Scolarité : Abandon depuis 4ème année primaire.

Stratégie : transport de gravier en groupe avec d’autres femmes et filles (convention verbale avec le recruteur)

Restaurant en groupe avec sa maman (payer avant de manger)

Outillage : Bassins, sacs (transport gravier) ustensiles de cuisine, assiettes et couverts, bidon d’eau à boire de 20 litres.

Pénibilité du travail : transport du gravier très pénible car, nous voulons transporter beaucoup pour être payée beaucoup ce qui entraîne la surcharge du travail.

Au resto, c’est dur seulement entre 9 h et 13 heures, car, il faut être concentrée, servir, avec la vaisselle, récupérer les assiettes auprès des clients exigeants qui veulent manger sur leurs lieux de travail comme les négociants. Puis aller chercher l’eau à boire…

Temps d’exposition au travail : 5 à 6 heures pour le transport de gravier, 4 à 5 heures pour le restaurant.

Circonstance d’entrée dans les mines : j’ai commencé à la demande de maman que je devais aider à transporter les aliments et autres ustensiles de cuisine dès l’âge de 10 ans puis à 12 ans, j’ai carrément abandonné la scolarité.

Cas d’intempéries: on reste sous le hangar que maman a fait construire. Mais quand il pleut avec un vent fort, là, nous et nos clients, nous nous disputons le hangar. Comme il pleut souvent après 13 heures quand nous avons presque tout vendu, nous rentrons au village…

Cas de ratés, d’invendus : c’est rare. Il y en a qui viennent même à le soir, on finit toujours par tout vendre. Nous connaissons la demande minimale en temps difficile et en bonne période.

Cas de violence : Maman est originaire d’ici. Elle a ses petits frères, ses cousins. Qui peut oser nous agresser ? Seulement des jeunes gens lorsqu’ils ont fumé le chanvre ou bu l’alcool, ils ont un langage ordurier, impoli, mais pas une attaque physique.

Sexualité : Silence !…Pourquoi cette question ? J’ai quelqu’un qui m’aime beaucoup, qui voudrait m’épouser, c’est seulement celui-là. Avant lui, il y avait un jeune garçon, que j’aimais moi aussi mais, il a eu des problèmes et il a fuit ici.

Projet d’avenir : me marier, aller fonder ma famille. Comme j’ai appris à faire ce que je fais ici, je vais continuer à pratiquer le commerce.

En cas d’échec de ce projet : Je suis une femme, il y aura toujours un homme qui me prendra en charge. Mais pour vivre je sais me battre en vendant quelques choses dans les mines ou au marché.

Satisfait ? Oui.

CAS N°27 : à Luamuela

Sexe    : Masculin

Age : 14 ans, aîné d’une famille de 6 enfants

Parents : Unis, Père Négociant de diamants, il est souvent en mines. Mère vendeuse dans  une boutique au village.

Habitat : une maison semi durable de 3 pièces.

Scolarité : Abandon scolaire depuis une année en 5ème année secondaire.

Activités : Transport, tamisage, recherche, etc.

Outillage : Bèche, tamis, sacs, etc.

Stratégie : Travail en groupe de 2 ou 3 personnes pour le transport, le tamisage voire pour la recherche. Convention même verbale avec la personne qui nous recrute.

Pénibilité du travail : tout travail dans les mines est dur et cassant. Tamiser par exemple, fatigue plus que transporter étant donné la position (posture de travail) autant que transport.

Temps d’exposition au travail : notre horaire de travail à nous est flexible. Il dépend de l’activité générale sur la mine. Nous ne sommes pas attachés à un puits, nous aidons partout où on nous cherche ou partout où il y a moyen de nous faufiler et trouver notre compte, même en offrant seulement le service de tamisage. C’est pourquoi il y a des jours où nous faisons 6 heures, d’autres 8 heures, voire 9 heurs.

Circonstances d’entrée dans la mine : il y a 3 ans, on avait ouvert une mine très riche, les enfants plus âgés de notre quartier qui travaillaient dans cette mine m’ont invité à faire l’expérience. Ce jour là, bien que je n’avais rien fait de particulier, je me suis vu rémunéré par mes compagnons comme si j’avais travaillé de la même manière qu’eux. Alors j’ai pris goût. J’ai continué  à fréquenter les mines et l’école – jusqu’à …il y a un an, j’ai « baillé « Tchik » c’est-à-dire j’ai abandonné la scolarité.

Cas d’intempéries : en cas de pluie, on s’abrite dans les mitanda de restaurants ou des trafiquants.

La chaleur du soleil et froid sont des ambiances thermiques familières. Beaucoup se mettent à l’abri en fumant la cigarette, le chanvre ou en buvant le « super ». Dans ce cas, on ne sent rien. Certains prennent un café fort le matin pour avoir la force de travailler indépendamment de la chaleur ou du froid.

Cas de raté, de manque : on utilise la réserve de ce que l’on avait gagné avant pour manger aux mines. Mais moi j’ai mes parents, si je rate, je mange chez nous, et je reviens le jour suivant. Quand je gagne l’argent, je donne souvent à maman. Même les pierres (les diamants), mes amis vendent aussi à papa.

Cas de violence : ça arrive, nous avons été agressés par un  groupe de jeunes garçons, plus nombreux que nous et nous avaient frappés. Parce que l’un de nous avait pris un peu de leur gravier dans la main. Les plus âgés sont venus sauver, bon c’est comme ça dans les mines.

Sexualité : on m’y entraîne par les amis qui ont déjà fait, mais moi je n’ai pas encore connu une fille ou une femme.

Projet d’avenir : gagner de l’argent, dès l’âge de 18 ans, commencer le négoce, devenir un grand boss.

En cas d’échec de ce projet : comment je vais échouer ? si je ne gagne pas beaucoup d’argent à la fois, je vais épargner (maman garde pour moi) petit à petit même une année après, je ne peux pas manquer quelque chose qui puisse me permettre de commercer le diamant, c’est la volonté et le courage, on peut commencer même avec 100 $ et fructifier plus que ceux qui débutent avec des gros montants.

Somme toute, en cas d’échec, on va faire autre chose, police, chauffeur motos, etc. Mais moi je crois à ma chance, le diamant paye.

CAS N°28 : à Bena Kabongo

 Sexe    : Féminin

Age : 15 ans.

Parents : Unis, Père agent de l’Etat dans l’administration publique. Mère vendeuse dans les mines et au petit marché 20 m.

Habitat : Parcelle d’un ami de papa depuis plus de 10 ans.

Scolarité : Abandon scolaire depuis deux ans en 1ère année du secondaire.

Activités : vendre avec maman, parfois vendre à sa place quand elle va s’approvisionner ou quand elle va à un deuil par exemple. Sur les mines, dès que l’occasion se présente, nous nous faisons PANACO c’est-à-dire transporteuse du gravier. Et on nous paye.

Outillage : bassins ou sacs pour le transport du gravier.

Bidon d’eau de 20 litres, ustensiles de cuisine, assiettes et couverts, sachets en plastique comme emballage.

Stratégie : travail en équipe ou seul, ça dépend du nombre de bassin dont je dispose et que je peux mettre en jeu.

Vente des produits alimentaires, nous sommes souvent avec maman, si vous voulez, nous sommes en groupe de deux.

Pénibilité du travail : le transport est toujours dur et pénible. Le travail de restaurant est également exigent : faire la cuisine, la vaisselle, servir plusieurs clients qui sont pressés, et mettre la propreté.

Temps d’exposition au travail : ça varie entre 5 et 9heures de travail par jour.

Circonstances d’entrée dans la mine : dès l’âge de 10 ans, maman m’amenait chaque fois que nous n’avions pas cours (congés, vacances…) mais quand j’arrive en 1ère année, on est venu dire à maman que je vivais avec un certain jeune homme, elle a fait des problèmes, papa a su et les deux m’ont interdit d’aller à l’école. Leur décision n’est pas bonne parce que mes collègues qui font la même chose sont maintenant en 3ème secondaire et puis, il y a des hommes ici et partout.

Cas d’intempéries : nous avons ce hangar qui nous abrite, ce n’est pas parfait mais on se cache quand même en cas de pluie et en cas de raté, d’invendus : c’est très rare de ne pas tout vendre, maman connait la mesure de ses clients. Même quand elle me laisse la charge, je prépare les mêmes quantités. Ce qui reste, les gens viennent parfois demander d’acheter à la maison le soir.

Cas de violence : Depuis qu’on vient ici, je n’assiste qu’à des querelles qui se terminent verbalement. Nous n’en sommes pas encore arrivées aux mains avec telle femme ou tel homme. Mais ce genre de querelles c’est courant ; car même un petit garçon peut toujours vous taquiner.

Rapport Sexuel : mes gens ne sont pas ici. Ils sont en ville. Celui pour qui on m’a retirée de l’école me suit toujours, il ne peut pas faire une semaine sans me voir, pendant qu’un autre me courtise encore. Maintenant, je penche pour ce dernier car lui veut m’épouser alors que le premier veut seulement abuser de moi.

Projet d’avenir : me marier à quelqu’un qui m’aime bien, fonder une famille. S’il autorise, moi je peux faire le commerce comme je suis habituée maintenant.

En cas d’échec de ce projet : si mon projet ne réussit pas, je vais rentrer à l’école, car maintenant, même les grandes personnes vont à l’école.

Satisfait ? Oui.

CAS N° 29 : à Bakwa Tshimuna

Sexe    : Féminin

Age : 16 ans, 2ème enfant d’une famille de 5 enfants

Parents : Divorcés.

Père : creuseur

Mère : ménagère devenue vendeuse.

Habitat : une case.

Activités : prostitution (commerce du sexe)

Scolarité : Abandonné depuis que j’avais 12 ans, date à  laquelle je suis venue ici.

Atouts/moyen : elle prend une chambre. C’est son client qui paye dans la facture de la nuitée.

Pénibilité du travail : C’est un travail qui procure du plaisir quand on n’aime le partenaire. Mais si c’est un partenaire que l’on prend pour avoir seulement l’argent ça devient pénible dans deux cas :

Au cas où le partenaire est drogué, il n’en finit pas vite et au cas où le calibre du pénis dépasse les limites du tolérable.

Temps d’exposition au travail : A tout moment, nous sommes disponibles dès qu’il y a une proposition. Nous restons au front entre 10 et 60 minutes, ça dépend du partenaire. Plus il dure plus je monte les enchères.

Circonstances d’entrée dans la mine : Après le divorce des parents, nous sommes allés avec maman qui, lorsque d’autres personnes me suivaient, elle était obligée de nous laisser dans la rue. C’est une fille de notre quartier à Mbujimayi qui vivait déjà ici qui m’a suggéré de venir faire la prostitution, je n’avais que 12 ans, je ne connaissais rien. Mais voilà venue, le même jour un jeune homme vient s’intéresser à moi, j’accepte, j’étais déjà prévenue que ça va faire très mal, mais après on devient réellement femme. C’est avec celui-là que j’ai commencé, on est resté ensemble presqu’une semaine car, je sentais qu’il m’aimait. Après, on m’a dit qu’il faut s’ouvrir à d’autres, un seul tu n’auras pas assez d’argent. Si lui manque, tu plonges dans la souffrance. Dès que j’ai commencé à prendre d’autres, il s’est désintéressé, moi également. C’est comme ça que je suis ici.

Cas d’intempéries : Nous sommes dans nos chambres, nous ne sommes pas concernées par les intempéries.

Cas de ratés : Si je ne trouve pas quelqu’un toute la journée, je cherche même mes anciens partenaires pour trouver à manger ou je prends à manger à crédit dans les restaurants qui sont ici.

Cas de violence : c’est courant ici, au début on me frappait ; mais maintenant quand un garçon me frappe, je résiste et frappe aussi, s’il n’est pas fort, je le ridiculise. Comme nous avons le même niveau tous nous fumons le chanvre, personne ne peut accepter d’être esclave de l’autre…

Projet d’avenir : Si les IST et le VIH/SIDA n’existaient pas, c’est une vie bien, de liberté. Si vous tombez sur quelqu’un qui a l’argent, il vous gâte. L’idéal c’est de se marier, quitter ces milieux, prendre soins de ses enfants.

Si nous sommes ici c’est parce que nos parents ont failli à leurs responsabilités

En cas d’échec de ce projet : Je vais continuer la prostitution en y ajoutant le commerce. Advienne que pourra.

Satisfaite ?  Même si je ne suis pas satisfaite, je n’ai pas de choix maintenant, je me contente de ça.

CAS N°30 : à Bena Kabongo

Sexe    : Féminin

Age : 12 ans, 2ème après un garçon.

Parents : Orpheline de père. La maman ne s’est plus remariée car dit-elle, la déception et son malheur ont été forts.

Habitat : une maison en briques à dobes, en tôles dans une des parcelles de l’oncle maternel.

Scolarité : je ne vais pas à l’école. J’ai abandonné en 3ème année primaire, il y a une année et demie.

Activités : accompagner maman partout où elle se rend (mines ou petit marché du quartier) pour l’aider dans la vente ou pour tout besoin qu’elle peut exprimer…

En termes d’activités diamantaires, il m’est déjà arrivé de transporter le gravier et d’être payée. Le revenu a été cédé à maman. Je ne peux rien faire, car c’est elle qui m’achète les habits, qui me nourrit.

Outillages : bassins, sacs, balai…

Pénibilité du travail : Pas tout à fait pénible. Je ne transporte que ce qui correspond à ma capacité.

Temps d’exposition au travail : Tout le temps que maman est là en train de vendre ou à faire le PANACO, parfois toute la journée mais souvent vers 15 heures ou 16 heures on rentre à la maison. Au petit marché c’est toute la journée.

Circonstances d’entrée dans les mines : Je vous l’ai déjà dit moi, c’est maman qui m’a amenée ici. Je ne me rappelle plus le jour, etc.

Cas d’intempéries : Nous nous réfugions sous ce hangar quand il pleut. La chaleur et le froid c’est la situation normale dans une maison. Il n’y a que la pluie qui dérange l’exploitation, les vendeurs des boissons fortes sont aux anges quand il pleut ou peu après la pluie.

Cas de raté, d’invendus : c’est rare de manquer de vendre Maman calcule avant, quand elle voit que la mine est épuisée ou que les travaux sont à l’arrêt, elle préfère aller au petit marché du quartier.

Cas de violence : on dit que lorsque cette mine était florissante dans les années passées, c’était plein de monde et qu’il y avait la bagarre toutes les 5 minutes. Maintenant avec la baisse de l’affluence, il y a moins de problèmes. Mais personnellement, ne me suis pas battue dans les mines, seulement au village.

Projet d’avenir : Je voulais rentrer à l’école. Mais ce dernier temps maman n’a pas d’argent, elle lutte seulement pour la nourriture. Maintenant je n’attends qu’une chose : quand j’atteindrai l’âge pour me marier, je vais au mariage.

En cas d’échec de ce projet : Et si tu n’as pas de candidat ? Comment je n’aurai pas de candidat. Moi j’aurai quelqu’un qui viendra. Et si cela arrivait, je ne vais pas me pendre, les prostituées vivent, les commerçantes vivent, les veuves qui sont sans maris vivent…et alors !

Satisfaite ? C’est ce travail qui nous permet de vivre. Je ne peux qu’être satisfaite.

En fait, les enfants qui vont travailler dans les mines de diamants poursuivent un objectif pratique : assurer la survie de l’exploitant, de sa famille en contribuant avec des apports au budget familial. Dans une perspective plus éloignée, l’objectif est de créer des richesses par la reconversion en activités de commerce ou de négoce.

Ce double objectif ressort de tous les entretiens réalisés avec les enfants. Tous les propos du genre « suite aux difficultés éprouvées par les parents de payer nos frais scolaires, je suis venu travailler pour payer moi-même.» ; « quand je gagne de l’argent j’aide les parents, je donne à papa ou à maman, je donne à cette dernière pour qu’elle achète à manger » illustrent bien la poursuite du premier résultat.

A quelques exceptions près, des filles notamment, les enfants nourrissent le rêve de se servir des revenus de leur travail dans les mines pour lancer une affaire et créer des richesses.

Aussi, reformulons-nous la question en ces termes : les mécanismes de résilience mis en œuvre par les enfants dans les mines leur permettent-ils d’atteindre leurs objectifs ? Etant donné qu’ils continuent à œuvrer dans ces milieux sans le fuir, mais en s’y accommodant et à en assimilant les caractéristiques, en s’y habituant, nous pouvons dire que ces stratégies sont pour eux rationnelles.

Du point de vue des revenus, aucune comptabilité n’étant tenue par aucun enfant pour quantifier les efforts d’une période de temps donnée, leurs témoignages suffisent à admettre que les revenus qu’ils réalisent permettent d’assurer leur survie et celle de leurs familles.

Déjà, les propos de certains d’entre eux du genre : « je veux gagner de l’argent, me reconvertir en commerçant ou en négociant de diamant », « j’ai le projet de devenir grand boss comme Petit BEYARD , comme le  Gouverneur de Province ou autres témoignent à suffisance qu’il existe réellement un modèle d’identification qui justifie  l’action de ces enfants et soutient la théorie de la résilience. En effet, ces jeunes qui vivent à Mbujimayi et ses environs sont témoins des résultats des aînés qui sont partis du néant, et qui ont connu une véritable ascension sociale grâce à cette activité d’exploitation artisanale des diamants. Si tel est le cas, pourquoi pas eux ? Comment des individus pubères ou adolescents en pleine crise d’identité ne peuvent se frayer un chemin en imitant ceux qui ont réussi parmi eux et autour d’eux ? Il s’agit du Gouverneur de la Province du Kasaï Oriental Alphonse Ngoyi Kasanji qui, avant de devenir Gouverneur était (et est encore) diamantaire, Président du Conseil Provincial des diamantaires (CPD en sigle) et Président National de la FECODI (Fédération Congolaise d’Or et de Diamants).

Au-delà de la survie, donc de l’intérêt financier qui sous-tend consciemment l’action, les enfants creuseurs ne sont pas attachés de façon passive et bornée à leurs activités.

Ils y ont trouvé un autre élément décisif de motivation, c’est le jeu de pouvoir et d’influence auquel ils participent et à travers lequel ils affirment leur existence sociale, malgré les contraintes décrites plus loin. Une certaine autonomie et  une certaine liberté auxquelles ils ont pris goût font qu’on ne peut les retirer de là sans résistance de leur part. Ce serait trop leur demander que d’exiger qu’ils abandonnent sans contrepartie leurs activités. Ils souhaiteraient rester, ne fut-ce que partiellement, maîtres de leur comportement, en contrôlant les sources de pouvoir et leur liberté d’action.

Pour faire face à la pénibilité c’est-à-dire à la charge excessive du travail ou prendre son courage de descendre dans une galerie souterraine à une profondeur de 8 à 15 mètres au moyen d’une corde et y travailler avec tous les risques d’affaissement du sol ou d’éboulement, ils ont la formule, de fumer le chanvre.

S’ils obtiennent des résultats, toutes choses restant égales par ailleurs, la stratégie est rationnelle. Ceci est affirmé par certains garçons lorsqu’ils expriment leur satisfaction à travailler dans les mines compte tenu du fait qu’il n’y a pas mieux.

En ce qui concerne la violence, tous nos sujets reconnaissent qu’elle est le fait des fumeurs de chanvre ou des consommateurs d’alcool. Même si l’enfant n’en consomme pas, il est convaincu que la brutalité, l’injure facile est l’œuvre des drogués ou des ivrognes. Le sujet n°29 qui est une fille, avoue que son métier et la violence qui caractérise les partenaires l’amènent à se droguer afin de se placer à une même échelle d’appréciation des situations que les garçons, ses clients.

Comme on le voit le décès d’un ou de deux parents ou le divorce des parents bouscule l’ordre des rôles et oblige l’enfant à prendre en charge la souffrance, mieux les rôles de l’un des parents, voire des deux.

Travailler dans les mines est perçu par ses enfants comme une opportunité qu’ils ont saisie. Donc, un acte de résilience car il permet de survivre et d’espérer.

En fait,  ces enfants sont des acteurs. Confrontés à une situation de précarité, ils ont choisi, même implicitement d’organiser leur résilience dans l’exploitation artisanale de diamant.

Cette activité présente à son tour des contraintes qui deviennent des nouveaux défis à relever.

A l’issu de cette enquête, il apparaît logique de formuler quelques recommandations à l’intention du pouvoir public ; des organismes de protection des enfants ; des scientifiques ; de la population, des enfants eux-mêmes et de leurs parents.

Au pouvoir public

De promouvoir la vraie croissance économique par la réhabilitation des entreprises de l’Etat et la création d’autres à l’initiative publique ou privée en vue de créer des emplois et de réduire le chômage et la pauvreté de prendre en charge l’éducation non formelle en RDC afin d’assurer le recyclage de la jeunesse éjectée par l’éducation formelle.

Aux organismes de protections des enfants

D’appuyer le Gouvernement  dans la définition des objectifs et la mise en œuvre des politiques de protection et de promotion de ces catégories de citoyens en vue de capitaliser leur potentiel économique au lieu de les considérer comme des sujets marginaux ou victimes.

Aux scientifiques

D’envisager et de conduire des études et des réflexions sur les aspects ergonomiques du travail des enfants dans les mines, sur les aménagements aux fins de réduire la pénibilité du travail, les risques d’accidents et de rendre ce travail économiquement plus rentable ; de concevoir des contenus de formation à la gestion des revenus et des schémas pédagogiques adaptés à ces jeunes.

A la population, aux enfants et à leurs parents

De changer leur vision en considérant que le travail que les jeunes réalisent dans les mines est tout aussi pourvoyeur des ressources pour la famille que les autres activités. Pour cela, il doit être fait avec tout le sérieux possible. C’est pour cette raison que nous leur demandons de manifester un intérêt réel pour les études et la formation tendant à améliorer les conditions de sa réalisation.

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